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LIVRE V.

nul ne savait encore ce que c’est que la mort. Un seul gémissement se fit entendre sous la terre, à l’endroit où sont cachées les semences des choses invisibles ; le gémissement partait de millions de poitrines tièdes et haletantes. L’enchanteur vit alors que les blancs avaient chargé les noirs de mille pesants fardeaux qui les tenaient ployés jusqu’à terre ; et cette servitude, avant de naître, n’était pas moins cruelle que celle que la lumière du monde éclaire. Car c’était pitié de voir ces âmes fragiles se traîner exténuées, dans les demi-ténèbres, vers les portes de la vie ; ce qu’il y avait de plus triste chez elles, c’était l’espérance.

« Arriverons-nous bientôt, dirent-ils, à la lumière désirée, pour que nous déposions ces fardeaux qui nous accablent et nous empêchent de redresser la tête ? Ah ! qu’il nous tarde de voir la douce lumière où cesse toute servitude et où le noir devient l’égal, le frère du blanc, sous la hutte terrestre ! Notre seule crainte est de rester ici ensevelis dans ces lieux sous les entraves dont ils ont, comme tu vois, chargé nos épaules. »

En les entendant, le prophète soupira ; il n’osa leur dire la vérité. Mais, se tournant vers une âme plus robuste qui passait, la seule qui redressât son front, il lui dit :

« Toi qui es le premier des noirs, tu peux supporter cette parole, car tu as les épaules d’Atlas. Tu es vraiment de pierre, Toussaint l’Ouverture, si la douce pitié ne te prend en voyant l’ingénuité des liens. Ils croient que la vie les délivrera de la dure servitude. Ah ! qu’ils