Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
MERLIN L’ENCHANTEUR.

VI

À cet endroit des limbes se passait une chose plus extraordinaire que toutes celles que j’ai racontées jusqu’ici ; il n’y avait personne qui ne tournât la tête pour s’assurer si ce n’était pas un rêve.

Après la foule des larves pâles marchait un peuple noir, plus lent, plus triste et comme chargé de chaînes invisibles. Ces âmes nègres s’en allaient, couleur de la nuit, les cheveux laineux. Dans leur bouche brillait comme un collier de perles blanches, en sorte qu’elles semblaient sourire, même lorsqu’elles voulaient pleurer. La trace d’un fouet sanglant était sur leurs épaules d’ébène ; et ce que n’avait fait aucun des hommes que le pèlerin avait rencontrés, ceux-là le firent. Ils tombèrent à genoux à ses pieds ; ils semblaient lui dire : « Délivre-nous de ce fardeau que nous ne pouvons porter. »

À ce moment, un coup de massue retentit dans l’ombre. Personne ne vit le bras levé ni quel était le meurtrier. Mais celui qui fut frappé alla rouler, comme un corps mort, au pied du prophète.

« Quelle main a frappé l’innocent ? s’écria-t-il. L’injustice est-elle déjà née en ces lieux, et, avec elle, la mort ? Le crime a-t-il ici son berceau ? Y a-t-il déjà des Caïns dans les limbes ? »

Tous furent effrayés, mais personne ne répondit, car