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MERLIN L’ENCHANTEUR.

V

De l’autre côté d’un ruisseau qui semblait la source de l’Océan, une âme seule s’était tenue debout à l’écart. Du haut de la rive elle avait contemplé la tempête civile sans changer de visage. De vastes savanes s’étendaient autour d’elle. Sans peur comme sans colère, elle s’avançait d’un air modeste, quoiqu’elle parût seule remplir un monde.

« Qui es-tu, toi, que la chute d’un monde n’a pu émouvoir et qui sembles habiter seule un nouvel univers ? lui cria l’enchanteur. Tu es encore trop loin pour que je te salue par ton nom. »

Les deux esprits marchèrent au-devant l’un de l’autre, autour de l’humble source de l’Océan. Quand ils furent près de se toucher, il y avait déjà longtemps que le prophète avait reconnu celui auquel il avait parlé.

« Pourquoi, lui dit il, ne dépend-il pas de moi d’avancer l’heure où tu dois voir la lumière, ô toi, honneur d’un monde inconnu qui dort encore sous l’Océan ! Je ne te laisserais pas errer plus longtemps ici dans ce crépuscule muet qui ressemble tant à la mort. Je te conduirais moi-même par la main quand je remonterai sur la terre. Le jour terrestre me remercierait de lui montrer Washington ! » Puis, en le touchant, il ajouta :

« Ô liberté ! que je n’ai point vue encore et que déjà