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LIVRE V.

« Toi qui es le plus jeune, il est donc vrai que tu es aussi le plus implacable, Saint-Just ? Tu tiens la tête trop droite. Et pour toi, Billaud-Varennes, prends garde à la maremme homicide de Sinnamary. Car les morts que tu entasseras de ce côté de l’Océan le traverseront à pied sec. Ils iront te chercher sous l’ombre des palétuviers, où tu n’auras pour compagnon et pour défenseur que la perruche des forêts qui se perchera sur ton épaule. »

Deux fois la foule timide hésita ; deux fois elle chercha une issue pour retourner en arrière et rentrer dans la nuit sans aurore. Si elle eût pu y rentrer, elle l’eût fait ce jour-là ; combien elle regrettait alors les ténèbres natives où elle dormait du sommeil de l’argile ! Combien elle se repentait d’avoir cherché les pâles clartés des limbes ! car, en ce moment, la mort se dressa debout sur son pavois aux extrémités de l’horizon ; elle dépassait de vingt coudées l’océan d’hommes qui était à ses pieds ; elle se mit à ricaner en voyant que tous lui appartenaient également.

Alors le prophète en colère frappa durement la foule de sa verge de coudrier. Tous en tumulte se hâtèrent au-devant de la vie, pleins d’épouvante, en détournant les yeux ; mais la verge fit ce que n’aurait pu la raison.