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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Sachez que je n’eusse jamais songé à vous interrompre, si la nécessité (seul dieu que nous reconnaissons) ne l’eût exigé de moi. Jusqu’ici vous avez contrefait en maîtres la création d’en haut. Sous chaque ciel, vous avez mis un abîme ; sous chaque joie, une douleur, et je vous en félicite. Mais l’imitation est-elle complète ? Avez-vous montré que l’enfer est aussi savant, aussi profond que le paradis ? Avez-vous copié les cieux classiques, sans rien omettre de ce qu’ils renferment ? pour tout dire, à mesure que les cieux se déroulent, avez-vous déroulé l’enfer ?

— Oui certes, nous l’avons fait, répondit l’essaim des mondes souterrains.

— Chers amis, reprit le roi de l’enfer, la fatuité vous aveugle. La plus belle œuvre de ce qu’ils nomment Providence, vous n’avez pas même essayé de l’imiter.

— Quelle est cette œuvre ? s’écrièrent les maudits.

— Eh quoi ! répondit leur chef, vous ne vous en doutez pas même ? L’ange immaculé de l’Annonciation est descendu des cieux pour annoncer à la Vierge de Judée que le Christ naîtra de ses flancs. Avez-vous rien tenté de semblable ? Vous n’y avez pas même songé ; vos esprits imitateurs n’ont pas osé se risquer à ce modèle. Croyez-moi, vous dégénérez.

— Que ferai-je pour prouver que je suis resté digne de toi ? mugit l’ancien abîme.

— Une chose aisée, si l’on ose l’entreprendre. Rien de plus simple : il vous faut ici un Christ infernal, né d’une vierge. »