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LIVRE V.

froides limbes furent un moment réchauffées de la présence de tant d’âmes palpitantes.

Le prophète leur dit :

« Certes, il est beau de s’élancer du premier bond au-devant de la justice. Mais la persévérance est nécessaire, même aux larves pour devenir des hommes ; et la fin montrera seule ce que vaut cette ardeur. Je crains que beaucoup de ceux qui réclament la lumière ne prennent goût aux ténèbres, dès qu’ils l’auront aperçue. Autant il est glorieux d’entrer les premiers dans la justice, autant il y a d’opprobre à la renier, sitôt qu’elle s’approche. Plus tard nous compterons ceux qui auront persévéré ; combien s’en trouvera-t-il alors ?

— Tous ! » cria la foule.

À peine ce mot avait résonné, une terreur subite glaça les lèvres qui l’avaient prononcé, et plusieurs de ces générations de larves se précipitèrent sous le vent des épouvantements, plus pâles, plus muettes et plus vaines les unes que les autres. Elles murmuraient tout bas, de crainte d’être entendues :

« Fuyons encore plus loin du jour ! Voici les douze ! »

Alors, en relevant les yeux, le prophète aperçut dans la campagne douze hommes aux longs cheveux qui chacun portaient un glaive à deux tranchants ; et un étendard aux trois couleurs, bleu, blanc et rouge, flottait sur leurs fronts héroïques. À mesure qu’ils marchaient, leur ombre grandissait au loin. Mais la multitude avait peur de cette ombre autant que des glaives eux-mêmes. À la tête des douze il reconnut