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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Nul ne sait ce secret, excepté celui qui n’en a pas besoin. Tantôt les peuples sont plus souples que l’herbe. Ils rampent ; c’est leur joie. Foule-les, brise-les, ils t’en aimeront davantage ; et c’est là ce qui arrive le plus souvent. Tantôt ils dorment comme des lions accroupis dans les roseaux ; alors délie le frein, ils te méprisent ; resserre-le, ils te maudissent ; caresse-les, ils te déchirent. Quoi que tu fasses, ils te perdront.

— Qu’ai-je à craindre ? Le jour éternellement attendu ne me sera pas retiré. Si les heures sont comptées pour la foule, elles sont inépuisables pour les rois.

— Détrompe-toi, Louis, qu’ils appelleront le seizième. Il t’en coûterait trop de connaître la vérité, à l’heure seulement où tu te sentiras frappé de son tranchant. Pourquoi m’as-tu pressé de prononcer la parole que je voulais retenir ? Il te convient moins qu’à personne de te fier à la durée du jour terrestre. C’est toi qui apprendras aux autres combien ses joies sont courtes, combien son ombre est pesante et de quel poison abonde la meilleure coupe. Ils te lieront les bras parce que tu seras le plus débonnaire. Ils te châtieront par le fer. Ta tête cherchera vainement à rejoindre le tronc, et ce n’est pas toi qui auras commis le crime, mais bien ceux-là qui te précèdent et que tu vois au loin marcher, indifférents, au-devant de l’aurore sanglante. »

Comme il achevait ces paroles, celui qui les entendait se sentit frissonner. Il prit par la main un enfant qui le suivait et qui disait en pleurant :