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MERLIN L’ENCHANTEUR.

vertus de l’épée. Vois ! il conduit ici par le frein son noir coursier ; tu le dompteras dans les ténèbres. Quand tu viendras parmi les hommes, tu arriveras tout armée. Ainsi le bon Achille a été élevé avant toi dans les limbes par le sage centaure. »

Il allait continuer ; mais la voix lui manqua lorsqu’il vit cheminer, dans un sentier bordé d’abîmes, une troupe d’esprits qui tous avaient une couronne sur la tête ; ils marchaient l’un après l’autre à la file et muets, si bien qu’ils ne paraissaient pas se connaître entre eux.

La bergère et ses compagnons s’étaient arrêtés pour voir passer cette troupe qui s’avançait avec majesté. Quand la moitié au moins eut disparu, la vierge s’écria à la vue de l’un de ces pèlerins couronnés :

« C’est lui, le voici ! le roi ! »

L’enchanteur lui dit :

« Oui, Jeanne, tu l’as reconnu, c’est ton Charles ; fais-lui son cortége, marche à son avénement. »

Alors la bergère se mit à marcher à côté de celui qu’elle avait salué ; elle semblait, en l’accompagnant, le garder contre les ténèbres.

Cependant la troupe auguste continuait de passer ; l’enchanteur, se tenant immobile, comptait combien ils étaient encore. L’un des rois, qui marchait avec peine, s’arrêta, et, sortant de la foule, avec un visage plus débonnaire que les autres :

« Ô toi, le seul qui ait vu le soleil, apprends-moi si la vie est aussi légère qu’elle nous semble ici. Enseigne-