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MERLIN L’ENCHANTEUR.

chaumine ; tout était rustique et humble dans son air, excepté son regard qui traversait les limbes. Pourquoi ont-ils peur d’elle ? pensait l’enchanteur. Quand il fut près d’elle, quoiqu’un torrent les séparât encore, il la reconnut sans peine ; et aucune des âmes qu’il avait rencontrées jusque-là n’avait ainsi touché la sienne, à ce point qu’il fut près de pleurer.

« Jeanne, lui dit-il, sais-tu où tu vas ?

— Je le sais.

— Et comme le bûcher est ardent ?

— Je le sais. »

Cependant elle traversait le torrent sur un tronc d’arbre qui était là comme ces ponts rustiques que les villageois jettent sur les ruisseaux, en Champagne, quand la pluie les a gonflés. Deux esprits marchaient à côté d’elle, à sa droite et à sa gauche, et lui parlaient à l’oreille.

L’enchanteur les ayant aperçus l’un et l’autre, s’écria :

« Jeanne ! pourquoi marches-tu ainsi accompagnée dans ce chemin où tous les autres vont seuls ? »

Et, avant qu’elle eût pu répondre, l’archange Michel, qui était à sa droite, lui dit à voix basse :

« Prends garde, ô vierge, à celui qui s’avance : il a déjà été mêlé aux vivants ; pourtant ni moi, ni celle qui est à ta gauche, nous ne l’avons jamais vu dans nos demeures célestes. Il n’est point de notre légion.

— Vous ne m’avez point encore rencontré, dit l’enchanteur ; malgré cela, moi aussi, j’appartiens comme vous à l’Éternel. »