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LIVRE I.

l’esprit ne servant plus qu’à creuser, de spirale en spirale, la création toujours nouvelle du Faux.

Chacun était occupé à ce travail. Toutes les bouches enfantaient le mensonge, et au milieu d’une discussion inextricable, interrompue par des sifflements de reptiles, se consommait le verbe de l’enfer. Chaque parole de fraude, à mesure qu’elle sortait envenimée d’une bouche de démon, évoquait une créature démoniaque qui se levait comme à un appel de l’abîme.

Toutes les petites puissances se disputaient avidement la parole, à chaque moment, sans se souvenir qu’elles avaient pour elles l’éternité ; il leur semblait que si elles perdaient un seul instant l’occasion de faire retentir leur voix stridente, c’était fait pour toujours de l’empire du mal.

Dans ce chaos de voix, une seule voix se taisait ; c’était celle du plus puissant ; il était caché là, comme un serpent boa sous des ruches d’abeilles bourdonnantes. Replié sur lui-même, muet, on l’avait presque oublié. Plus d’une langue glapissante, s’étourdissant elle-même, commençait à mépriser ce roi taciturne, quand, d’un bond prodigieux, il s’élance de son repaire ; enroulant de ses replis les vastes confins de l’abîme, il dresse une de ses têtes au-dessus de chaque groupe. Le silence se fait soudain, et voici ce qu’il dit :

« Vos discussions me charment, parce qu’elles n’aboutissent à rien. Vous êtes les vrais rois du sophisme. J’entends avec délices vos discours qui tarissent la pensée dans les âmes.