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LIVRE V.

suffit-il pas de les avoir vus passer ? Ce que tu prends pour leur visière baissée est le voile d’airain qui couvre l’avenir. Sache seulement qu’ils ne mettront pas toute leur joie dans le glaive, et qu’ils sècheront les larmes que tu vois ici rassemblées dans les yeux des multitudes. Que t’importent leurs noms et les syllabes qui les forment ? Les noms trompent aisément. Apprends d’avance à regarder les choses. »

Pendant que je me retirais confus et tout tremblant de cette vision par delà le berceau et le tombeau, il pénétrait avec sérénité plus avant dans les limbes.

II

Avez-vous vu le torrent de l’Ain, à l’endroit où le rocher aigu s’avance pour lui fermer le passage ?

Vous diriez que le torrent est vaincu et qu’il ne lui reste qu’à revenir sur ses pas, en arrière, vers sa source. Mais, au contraire, il s’avance plus fier, après avoir regardé de près, dans ses gouffres bleuâtres, le roc qui voulait l’enchaîner. Cet endroit est semblable à celui où la vallée des limbes se recourbe et se ferme pour empêcher de passer ceux qui aspirent à la vie. La gorge étroite s’ouvre subitement béante, comme une vaste maremme.

« Quel est celui qui vient vers nous ? disaient deux âmes en se tenant amoureusement embrassées au bord