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LIVRE IV.

« Garde ta colère, ô Luther ! pour d’autres combats. Toi aussi, il faut te ceindre d’avance, mais non pas d’un cimeterre. Véritablement, plus d’un siècle t’est nécessaire encore pour fourbir le glaive de l’esprit. Si tu dépenses ici avant le temps ta fureur divine, que feras-tu quand il faudra renverser Rome dans sa maison de pierre ?

— Rome ! répondit celui qui avait peine à ajourner la vengeance de Dieu, comme l’archer a peine à retenir la flèche sur la corde tendue. Rome ! Quel nom prononces-tu ? Je l’entends pour la première fois ; déjà je voudrais l’anéantir !

— Prends patience encore un peu de temps. Toute indignation est féconde quand elle s’amasse lentement au fond du cœur. Alors elle éclate ; elle disperse les autels profanés ; elle affranchit le Dieu captif de l’homme. Mais si elle se prodigue inconsidérément, elle n’attire que la risée du monde. Retiens donc ta violence jusqu’à ce que tu rencontres les violents de la terre. C’est ici le séjour de la paix. Nul ne mettra sous le joug ton front de taureau germanique. Va, n’attaque plus de la corne ceux qui passent avant toi. »

À ces paroles sévères, la colère de l’âme superbe tomba en un moment. Elle s’inclina jusqu’à terre d’un visage mystique, où rayonnait pourtant le rire du victorieux. Mais personne ne la vit lorsqu’elle se déroba au loin, tant sa démarche triomphante était en même temps craintive. Elle alla seule à l’écart s’asseoir sur des ruines ; et elle ouvrit une Bible aux feuilles d’or qui