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MERLIN L’ENCHANTEUR.

grande, Maximilien ! Pourquoi te hâtes-tu jusqu’à en perdre haleine ? Sais-tu ce qui t’attend de l’autre côté de la porte ? Le sais-tu ? Une mer de sang, où tu te débattras vainement pour ne pas te noyer, car ta mémoire y restera plongée : il ne te servira de rien que tu t’appelles l’incorruptible. Le cri des hommes sera tel contre toi, que tout mensonge et même le plus vil, prévaudra sur la parole. Vois, maintenant, si tu veux avancer ou reculer. »

En entendant ces mots ; l’âme qui devait terrifier le monde hésita et se mit à trembler ; elle se voila le visage de sa main et recula devant le soleil des vivants. Puis, avec un geste d’orgueil, elle parut dire en s’éloignant, le visage tourné par-dessus son épaule : « J’aurai pourtant mon jour. »

Non loin de là était un rivage marécageux, plombé, où sifflait éternellement dans la brume le vent du nord. Au milieu des algues déracinées, un esprit se tenait debout sur une étroite dune, malgré l’orage qui avait courbé tous ceux qui l’entouraient. Jamais une parole n’était sortie de ses lèvres depuis le commencement des choses. Plusieurs l’avaient interrogé pour savoir son secret, mais sa langue ne s’était point déliée. Nul, dans la multitude innombrable des larves, ne connaissait sa pensée.

Le prophète s’approcha de lui pour le tenter :

« Dis-moi ton secret, et je te conduirai dès aujourd’hui au-devant de la lumière du monde. Que trames-tu ici ? Que prépares-tu ? »