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LIVRE IV.

— Un nom ! répondit en défaillant l’âme orgueilleuse d’une voix plus faible que celle des roseaux.

— Rien qu’un nom ? reprit l’enchanteur. C’est moi qui te donnerai le tien ; tu t’en rassasieras ici par avance à loisir, si bien que toute gloire te semblera usée dès que tu la goûteras. »

Et, comme sans rien entendre, l’inconnu continuait de fendre la foule en heurtant les vagues ténèbres naissantes :

« Arrête-toi, Napoléon ! dit le prophète. Espères-tu frauder l’Éternel dans le compte des jours ? Tes vains désirs ne te feront pas arriver un jour plus tôt sous le soleil des vivants. Au contraire, tu retarderas le lever de ton astre. As-tu donc si soif de dominer et d’asservir le monde, que tu ne puisses prendre patience durant l’appel des siècles ? Un jour, une année, te semblent-ils quelque chose ? Va ! aiguise encore ton glaive. »

Alors l’âme vagissante, à laquelle manquait encore la parole, ayant levé les yeux, se retourna pleine de dédain, à la face du néant ; elle alla loin de la multitude se rengager et se perdre dans ses langes, qui semblaient un linceul. On entendit au loin le bruit d’un glaive aiguisé sur la pierre, et le pas d’armées qui passaient au loin et portaient des chaînes.

Une âme encore frappait avec colère aux portes de la vie ; celle-là, sans parler, semblait dire : « Je briserai les gonds ; j’entrerai ici par ma propre puissance. »

Merlin se tourna de son côté et lui dit :

« Véritablement, ton impatience à toi aussi est trop