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LIVRE IV.

« Pourquoi, cria-t-il, cours-tu ainsi au-devant de la lumière terrestre, toi qui dépasses les autres d’une coudée ? Tu verseras des larmes qui, après dix siècles, ne seront pas encore essuyées ! »

Comme tous s’étaient rassemblés autour de lui, ainsi qu’une couvée sous l’aile de la poule, et qu’ils attendaient encore un mot, il ajouta :

« Les ténèbres ne te connaissent pas encore, mais le monde t’appellera Charlemagne. »

À ce nom, le premier qui eut été prononcé dans ces lieux, l’étonnement, la stupeur, passèrent sur les lèvres pâles de ceux qui l’entendaient.

Le colosse répondit d’une voix enfantine :

« Me voilà ! »

Car il croyait qu’on l’avait évoqué ; plein de hâte de fouler la rosée matinale, il murmurait dans une langue des limbes encore toute embarrassée :

« Sus ! sus ! barons ! Oyez l’olifant ! Allons où le jour point ! Si j’attends la vesprée, j’en serai honni et vergondé ! »

Ceux qui devaient être plus tard ses douze pairs et ses barons étaient encore enveloppés de langes d’acier ; ils répétaient à leur tour : « Sus ! sus ! »

Et ils allaient au-devant de l’étincelle qui jaillit de Durandale.

Merlin les arrêta par ces mots :

« Paix ! empereur et barons ! Votre heure approche, prenez patience ! Quand elle arrivera, c’est moi qui vous convierai de l’épée, fussé-je dans ma tombe. Moi-même