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LIVRE IV.

Elles attendent que le siècle, l’année, le moment arrive pour elles de revêtir un corps d’argile, et qu’une grande voix leur commande de se mêler à leur tour au chœur des vivants. Jusque-là une curiosité pleine d’angoisse les tient dans une insomnie éternelle. La principale douleur de ceux qui errent dans les limbes, c’est qu’ils n’ont point encore de noms ; ils se cherchent confusément eux-mêmes au fond des ténèbres innommées, et ils se sentent, jour et nuit, opprimés par le néant.

En ce moment quelques-uns, plus fiers que tous les autres, ébranlaient eux-mêmes, en gémissant, les portes de bronze qui les séparaient encore du jour.

« Pourquoi es-tu si impitoyable ? dit Merlin au pasteur. Écoute comme ils gémissent et désirent la vie. Pourquoi leur refuses-tu de sortir un jour plus tôt de ces limbes où tu les liens emprisonnés ? Que te fait un jour, à toi qui possèdes les siècles ?

— Je ne possède que des ombres vaines. »

Disant ces mots, ils touchèrent aux portes de bronze : c’étaient les portes de la vie.

« Entre, ajouta le pasteur. Toi qui sais le langage d’en haut, donne-leur à chacun le nom que tu voudras pour qu’on puisse les appeler : il leur plaira, venant de toi. »

Et il s’apprêta à se retirer.

Mais, voyant son guide s’éloigner, Merlin eut peur :

« Pourquoi m’abandonnes-tu ? Je ne connais pas la voie.

— C’est à toi de la chercher.

— Au moins Viviane me conduira par la main.