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MERLIN L’ENCHANTEUR.

même Merlin, à la surface des choses, cherchait partout les âmes. Pour les saisir, il eût voulu s’engloutir dans l’océan des êtres. Voilà pourquoi, après avoir ainsi visité les prémices des choses, honteux de ne toucher que des ombres vaines, il s’arrêta et dit :

« Ô conducteur des limbes ! c’est peu d’avoir vu les trésors de la grêle, de la pluie et du tonnerre ; c’est peu d’avoir visité, dans les étables, le troupeau vagissant des êtres encore informes, attachés à demi à la glèbe du néant. Dis-moi, maintenant, de quel lieu sont tirées les âmes qui arrivent sur la terre ? Que font-elles avant de voir le jour ? Dans quelle retraite cachée les tiens-tu rassemblées et voilées.

— Tu es le seul, répondit le pasteur, qui m’ait fait cette question. Tu seras le seul auquel il sera répondu. »

Alors il le conduisit dans le lieu le plus secret de son domaine. Un mur de rochers dentelés, découpés en zigzags, sculptés par la foudre, tel qu’un éclair pétrifié sur le front des Alpes pennines, séparait cet endroit de tous les autres.

C’est là que se rencontrent, sur des sentiers à peine tracés, les âmes ébauchées qui n’ont pas encore vécu. Ces larves errent, çà et là, poussées par une inquiétude enfantine, car elles n’ont point encore eu de berceau. Toutes se consument du désir immodéré de franchir pour la première fois les portes de la vie. Que ne donneraient-elles pas pour jouir une heure plus tôt de la lumière du soleil ? De quels vains projets ne se nourrissent-elles pas ?