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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Je sens, ô pasteur des limbes, mon cœur plus fort que les myriades des mondes naissants. Quoi ! si faibles ! si rampants ! si semblables au néant ! Mais d’où peut donc naître l’orgueil ? d’où vient la sagesse ? où est le commencement de l’amour ? et d’où naît l’espérance ?

— Je te l’ai dit déjà : de cette fumée radieuse. »

Et, devenus tous les deux plus pensifs, ils traversèrent en silence le vestibule des limbes.

À l’endroit où le chemin se resserre, il y avait, au milieu du sentier à pic, un vieillard qui tenait un livre sur ses genoux ; et, tout courbé, il écrivait sans relâche sur les pages encore blanches, sans paraître s’inquiéter de ceux qui approchaient, ni des abîmes ouverts à ses côtés. Longtemps Merlin le considéra avec l’espoir de lui voir lever la tête ; mais la tâche croissait sous la plume rapide du scribe ; celle-ci grinçait sans s’arrêter jamais.

« Ô scribe éternel, lui demanda le prophète, qu’écris-tu avec tant de hâte sur ces pages que tu désespères de remplir ? Je ne vois pas celui qui te dicte la tâche. »

Le scribe répondit :

« Passe sans t’arrêter comme ils font tous ! J’écris ici le nom divin de chaque être, de chaque chose, à mesure qu’ils viennent à la vie, afin que le nombre en soit compté et que nulle créature, si petite qu’elle soit, ne puisse échapper à la science de l’Éternel. Prends garde de lui en dérober une seule ; car, moi aussi, j’en sais le compte. »

Puis il ajouta avec colère, en le regardant d’un œil oblique :