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MERLIN L’ENCHANTEUR.

qui ne touchez de vos pieds que l’essence immaculée des choses !

Si votre mémoire m’est présente à chaque heure ; si dans la tristesse et dans la joie je vous cherche comme ma lumière ;

Vous qui avez été, qui serez dans l’éternelle vie ;

Soyez mes guides à cet endroit où s’arrête tout sentier tracé par les hommes ;

Conduisez mes yeux pour que je voie, à travers les ténèbres des siècles, ce que nul œil n’a vu, ce que nul œil ne verra sans vous.

Comme au pied des montagnes bernoises où le rocher se dresse, où l’univers se ferme, le guide conduit le pèlerin sur les neiges contemporaines du premier jour, et l’empêche de se tromper de voie ;

De même, soutenez-moi à travers l’abîme des choses encore immaculées où m’entraîne Merlin. Car son plus grand désir est de frayer le sentier aux hommes à travers les régions infréquentées ; et maintenant il s’est résolu à visiter les vastes limbes où personne n’a pénétré avec lui.

Des bruits indécis, informes, comme le vagissement de l’abîme, l’accueillent à l’entrée de ces lieux où croissent, pâles et ignorées, les racines de toutes choses. Ce n’est pas le jour et ce n’est pas la nuit. Il n’y a ni soleil, ni lune, ni étoiles dans le ciel, mais seulement des nébuleuses qui poudroient en serpentant, dans les méandres des voies lactées, sans pouvoir enfanter l’aurore. Vous diriez que des mondes se