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LIVRE III.

mentent lorsqu’il entend son père crier d’une voix presque éteinte :

« Fils de l’enfer, tu trahis l’enfer ! Combien t’a-t-on acheté ? Tu veux donc être le Judas de Satan ? »

Et l’écho des abîmes, sous les voûtes maudites, de répéter :

« Ton vieux père est trop faible pour toi, Merlin ; c’est nous qui payerons sa faiblesse. »

À ces rugissements, Merlin s’arrête ; l’éternelle douleur le tente… s’il revenait sur ses pas !… pourquoi non ?… Il irait revoir encore son père, le supplier, l’étreindre de ses bras. Pourquoi l’avoir quitté si vite et sans aucun adieu ? Il pourrait l’emporter sur ses épaules, comme Énée fit Anchise, hors de l’éternel incendie de la cité dolente…

Déjà il s’était retourné, et il méditait de se replonger dans les régions maudites, quand ses deux compagnons lui fermèrent la voie.

« Laisse le passé que tu ne peux refaire, prophète, dit Viviane ; l’avenir seul est à toi. Écoute le vagissement des mondes nouveaux qui t’appellent. Veux-tu tromper leur attente enfantine ? »

Virgile lui montrait les portes ciselées, rayonnantes du paradis.

« Non, pas encore, bon Virgile, dit Merlin ; que ferais-je dans la demeure accomplie des justes ? Ils sont heureux, qu’ont-ils besoin de moi ? Allons voir plutôt, comme celle-ci le conseille, la source jaillissante des choses, le commencement des êtres et tous ceux qui