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LIVRE III.

le voit en face de lui, sur son trône. Quel moment ! Leurs yeux se rencontrent… C’était bien là le chevalier qui avait pris soin de son enfance ? Nul moyen d’en douter. Même manteau rouge, échancré sur les bords ; mêmes éperons de flamme, même casque d’or ; seulement il l’avait quitté un moment pour respirer plus à l’aise ; il laissait flotter à l’air libre sa rouge chevelure embrasée. À cette vue, la nature parle ; elle crie ; Merlin a reconnu son père.

La crainte, une certaine horreur, mêlée d’un ancien respect, la honte, le dépit, le ver de l’angoisse, les affres de l’enfer, l’oppressent à la fois ; il se sent brûler et glacer. Il n’ose ni avancer, ni reculer, ni parler, ni se taire. Son père voit son trouble ; il se hâte d’en profiter.

« Te voilà donc, cher fils ! lui dit le maître de l’enfer, en lui tendant sa main d’où jaillissaient des étincelles. Viens ici dans mes bras ! que je te presse, ô mon fils, sur ma poitrine. Viens ! te dis-je. Assieds-toi à mes côtés, sur ce vieux siége de famille. Allons, mes féaux ! place, place au foyer ! C’est aujourd’hui le retour de l’enfant prodigue ! Tous mes biens sont à lui, bon feu, bon gîte et le reste. »

Aussitôt les vastes chaudières se remplirent comme à l’apprêt d’un festin infernal. Les tisons assoupis se rallumèrent dans l’âtre. Les forêts souterraines pétillèrent en laissant couler des fleuves brûlants de houille ; et il n’était pas sur leurs rives couleur de sang, un noir Cobold, armé de croc en guise de rame, qui ne