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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Aussitôt tous deux essayèrent de s’embrasser et ne l’ayant pu, ils s’entreregardaient avec une tendresse infinie. Alors Virgile :

« N’espère pas, ô frère, séjourner dans l’éternelle douleur assez pour y faire entrer la paix. Ce n’est pas ici ton domaine. Un autre s’emparera de ces lieux. Entends tu comme on lui forge ici d’avance ses formidables tercets sur l’enclume infernale ? N’essaye pas de les lui dérober. Tu es le prophète des jours heureux dans les mondes futurs. Les régions que tu dois visiter, je les ignore.

— Laisse-moi, par grâce, contempler une fois l’éternelle angoisse. Pour prix de cette vision, je rajeunirai tes vers antiques, élyséens, que balbutient aujourd’hui seulement les spectres.

— Quoi ! ma douce langue n’est plus que celle des ombres ?

— Je la ressusciterai ; elle résonnera de nouveau sur les lèvres des peuples en paroles plus douces, empourprées, mêlées de miel. »

Tenté par ces caresses, Virgile sourit :

« Je vais faire ce que personne ne m’a commandé. Passe plus rapide que l’éclair.

— Oui, plus rapide que l’espoir dans le cœur des maudits. »

Et en s’avançant, ils semblaient des oiseaux voyageurs qui connaissent leur route, sans l’avoir jamais pratiquée auparavant. Le sage Merlin expliquait sans aucune peine tout ce qu’il rencontrait.