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LIVRE III.

« Allons, dit-il, à leur rencontre, pour les complimenter de leur venue, les héberger, les assister, car je soupçonne qu’ils sont affamés et de corps et d’esprit. »

Il avait, en effet, ouï dire le plus grand bien des barbares, et mettait alors en eux son meilleur espoir, croyant, un peu inconsidérément peut-être, qu’ils venaient à propos pour régénérer les peuples, à la vérité, déjà fort usés. Il comptait bien payer l’amitié de ces gens-là par quelque don de son art, outre qu’il n’était point fâché de se retremper lui-même dans les eaux sacrées des légendes.

Ces raisons firent qu’il marcha au levant, jusqu’à ce qu’il eût atteint de grandes eaux, ou la Moselle, ou la Meuse, d’autres ont dit le Rhin.

À cet endroit, un barbare, un géant, le premier qu’il eût vu de ses yeux, était au milieu du fleuve. Sur ses épaules il portait un enfant nouveau-né, et l’enfant tenait en se jouant un globe dans sa main. Les flots s’amoncellent, le géant s’arrête ; l’eau lui monte jusqu’aux genoux. Tout courbé, pantelant sous le fardeau, il pousse des cris confus, que répètent les rochers : « À moi ! au secours ! Je porte le monde sur mes épaules ! »

À ce cri d’alarme, un anachorète, seul habitant de cette contrée, sort de son ermitage, une torche à la main ; il reconnaît celui qui écrasait les épaules du géant. Cet enfant, c’était le Christ !

Brillant comme un flambeau dans la nuit, le nouveau-né s’était penché ; il avait pris dans le creux de sa