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MERLIN L’ENCHANTEUR.

chaloupe. Robinson Crusoé et Gulliver, c’étaient leurs noms ; tous deux fort affairés, très-discrets, encore plus modestes, ils n’osaient approcher. Merlin s’avança d’un air riant : il apprit de leur bouche quel désir immodéré ils avaient d’appareiller pour des pays étrangers. À grand’peine pouvaient-ils attendre que la chaloupe fût achevée ; ils en avaient pensé mourir d’impatience. Tout ce qu’il put raisonnablement pour les dissuader de leur projet, Merlin le fit. Il avertit, il gronda, il pria, il supplia.

« Que gagneraient-ils à ce voyage lointain ? Étaient-ils donc si sûrs d’échapper au naufrage ? La saison était d’ailleurs très-mauvaise, on ne parlait cette année-là que de sinistres. Puis, enfin, que verraient-ils ? Des peuples à peine nés, déjà dégénérés, défigurés. Si la curiosité poussait nos deux amis, quel besoin d’aller si loin ? Que ne rentraient-ils en eux-mêmes ? ils trouveraient dans le fond de leurs cœurs des abîmes inconnus, des tempêtes, et même des déserts de sable, autant que par delà la mer des Indes. »

Tout cela dit avec douceur, sympathie, non avec le ton du maître.

Robinson et Gulliver ne s’étant point rendus, Merlin ne s’obstina pas davantage. Il voulut les servir à leur gré, non au sien. Après quelques avis sur les climats, les vents alizés, les moussons, les courants, les marées, il leur donna deux petites boussoles, les premières dont on ait fait usage, et deux cartes routières, celle de Lilliput pour Gulliver, celle de l’île déserte pour