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LIVRE III.

véritables monstres qui ne pouvaient se soulever de terre. Caliban était le premier, Adamastor le second, Morgant le troisième ; tous velus, gigantesques, hideux. Sans parler, les pattes jointes, ils osaient s’accrocher au pan de sa robe, en lui demandant de les faire entrer dans la vie réelle. Merlin les considéra quelque temps avec une horreur mêlée de pitié.

« Comment, leur dit-il, vous aussi, vous désirez vivre réellement ? Ne vous êtes-vous donc jamais vus dans le miroir des fontaines ? De quoi vous servirait de vivre davantage ? Faits comme vous semblez l’être, difformes à plaisir, n’aspirez pas à plus de gloire ! Gardez en vous votre postérité. Qui pourrait vous aimer ? »

Mais ces monstres s’attachaient à ses pas comme des mendiants qu’aucun refus ne peut décourager. Ils rugissaient sourdement, et ils ne purent répondre que : « Ho ! ho ! ho ! » si bien que pour leur échapper Merlin leur fit un signe de tête qui voulait dire : « Espérez donc, quand même ! »

Caliban se réjouit dans son cœur en pensant à sa postérité. Adamastor s’arrêta, stupide d’attente ; il semblait un rocher éraillé qui se penche sur un gouffre.

Merlin allait se retirer, quand une forte odeur de goudron, mêlée d’une épaisse fumée, arriva jusqu’à lui. Il regarde : dans une petite anse semée d’algues de mer, deux personnages, au milieu de nombreux outils, tels que marteaux, clous, scies, cordes, haches, quelques pintes d’eau douce et de rhum, radoubaient avec de l’étoupe et de la mousse la carcasse renversée d’une