Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
LIVRE III.

Voulez-vous donc la changer contre l’éternelle angoisse ?

— Quelle est cette paix ? répondirent les filles de l’incorruptible amour. Ce calme, c’est la mort ; nous sommes lasses de notre sérénité.

— Prenez garde d’appeler, de déchaîner vous-mêmes les tempêtes dans vos âmes !

— Eh bien, oui ! nous les appelons, nous les invoquons, les tempêtes inconnues, pleines de foudres et d’éclairs ! Elles nous pèseront moins que cet antique repos où vous nous avez surprises.

« Sommes-nous des fleurs des bois pour végéter comme elles ? Nous sommes lasses, Merlin, de rivaliser avec les étoiles radieuses dans les longues nuits d’été. Cet Éden sans serpent, sans tentateur, nous ennuie. »

Elles en vinrent à le tutoyer :

« Donne-nous les tempêtes, toi qui en parles si bien, » dirent ensemble Herminie, Juliette, Ophélie.

Et elles lui prenaient les mains.

« Vous le voulez, filles insensées ! reprit Merlin : eh bien, c’est vous qui aurez fait votre sort. J’éveillerai bientôt des chantres qui par mille paroles flatteuses et cadencées vous attireront au seuil de brillantes demeures où vous serez bercées jour et nuit au rhythme de leurs chansons : on les appelle poëtes. Ils vous apprendront de douces paroles emmiellées. Mais sitôt que vous vous confierez à eux, ils vous ensorcelleront ; vous ne vous appartiendrez plus ; ce sera votre chute après l’Éden.