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MERLIN L’ENCHANTEUR.

indigente du berger ; à Clorinde, l’épée rassasiée de son sang ; à Griselidis, les douze épreuves ; à Marguerite, la mare où elle plongerait son enfant ; à Ophélie, la pâle guirlande de bluets dont se couvrirait sa tête égarée ; à Juliette, la cruelle agonie dans le tombeau de Vérone ; à Angélique, sa fuite sans trêve et sans merci ; à Velléda, la faucille ; à Julie, la roche escarpée de Chillon ; à Virginie, le naufrage du Saint-Géran ; à Clarisse, l’infamie.

Quelques-unes seulement furent émues de ces paroles. « Est-il vrai, dit Desdémone à Othello, est-il vrai que je souffrirai par toi cette cruelle mort ? Si tu le veux, qu’il soit ainsi. Je ne me dédirai pas. » À ces mots, Othello faisait effort pour sourire, comme si c’était là un jeu ; dans le fond il sentit, depuis cette heure, un commencement d’angoisse ; il supplia l’enchanteur de répondre de lui à sa bien-aimée.

« Est-il vrai, murmurait à son tour Griselidis, que je souffrirai pour toi, mon seigneur, tout ce que dit l’enchanteur ? N’importe, dussé-je endurer cent fois davantage, je ne reprendrai pas mon anneau. »

Sur cela, le sire de Saluces conjurait Merlin de se faire son garant.

Mais l’enchanteur s’y refusa, et, s’adressant de nouveau aux femmes qui lui faisaient cortége :

« Voilà ce qui vous est réservé, dès que vous donnerez entrée dans vos âmes de vierges aux pensées brûlantes dont se nourrissent les hommes ; c’est là ce qu’ils appellent le monde réel, comme si le vôtre était imaginaire ! Aujourd’hui vous vivez dans l’éternelle paix.