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LIVRE III.

colères, haines, jalousies, ils ne pourront vous prêter que ce qu’ils possèdent. Craignez de regretter alors votre obscurité première. »

En même temps il réjouissait ses yeux et son esprit du spectacle d’un monde immaculé, où tout était paix, beauté, bonté, harmonie. Chacune des personnes qu’il rencontrait dans cette solitude était cent fois plus belle que ne l’ont dit les poëtes qui, plus tard, ont prétendu les avoir imaginées.

« Filles charmantes, disait Merlin ébloui de tant de merveilles, soyez à vous-mêmes votre monde. Il n’en est pas, croyez-moi, qui soit digne de vous recevoir ! »

Mais ces filles enchanteresses reprenaient :

« Ô bon Merlin ! conduisez-nous dans les villes, dans les demeures des hommes. Il est si triste de se mirer toutes seules dans les sources des forêts ! Nous ne croirons à notre beauté que si nous la voyons se réfléchir dans les regards des peuples.

— Vous le voulez ! dit Merlin ; y avez-vous bien songé ? Vous perdrez, en sortant de votre obscurité, la moitié au moins de votre beauté première. »

Mais elles répondirent : « Que nous fait notre beauté si personne ne la voit ? »

Alors Merlin lia conversation avec chacune d’elles en particulier. Il essaya, par mille raisons excellentes, de leur prouver tout ce qu’elles avaient à perdre en sortant de celle première innocence, qui était pour elles l’innocence de l’Éden. À Desdémone il fit entrevoir de loin le triste oreiller d’Othello ; à Herminie, la cabane