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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Non, dit Merlin ; je suis brouillé avec ce monde-là. Qu’attendez-vous encore de moi ?

— Donne nous la force et l’immortalité !

— Donne-nous d’abord la grâce ! » s’écrièrent, en étendant les mains vers lui, les femmes qui l’avaient suivi en silence, si bien qu’il n’avait pas même ouï le bruit de leurs pas.

Merlin leur prodigua aussitôt, sans marchander, tous les dons de son art. Jamais il n’avait comblé des êtres avec une munificence pareille. Quand les hommes virent le grand cas que Merlin faisait des beautés idéales qui étaient si près d’eux, ils se mirent à les regarder pour la première fois ; et, loin de les dédaigner, comme ils avaient fait jusque-là, ils commencèrent à s’en éprendre sérieusement. Obéron se fiança ce jour-là avec Titania, Médor avec Angélique, Roméo avec Juliette, le sire de Saluces avec Griselidis : ils ne se quittaient plus.

S’il l’eût pu, à ce moment, Merlin leur eût fait peut-être franchir à tous ensemble le cercle invisible qui les séparait du monde réel, d’autant mieux que le cercle n’était tracé que par un fil automnal de la vierge. Il les consola en leur apprenant combien ce monde est cruel, comme tout y est empoisonné. Ils n’y pourraient faire un pas sans se déchirer aux ronces du chemin.

« Jouissez, disait-il, jouissez de la condition qui vous est faite dans ces retraites, à l’ombre embaumée de ces arbres féeriques. Ne désirez pas trop d’en sortir ! Plus tard des poëtes viendront, qui vous donneront le bruit, le tumulte, hélas ! ce qu’ils appellent la gloire. Passions,