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MERLIN L’ENCHANTEUR.

génie pour donner libéralement à leurs visions une immortalité qu’ils seraient trop heureux de posséder eux-mêmes. Voilà ce qu’ils ont réussi à faire croire aux peuples si aisément dupes. Toi aussi, Merlin, oui, toi le sage, tu t’es laissé abuser sur ce point-là. Tu crois aussi aux fantômes errants qui hantent le front des poëtes. Ô injustice ! faut-il donc que les existences les plus belles, les plus sublimes, les plus durables, passent ainsi pour de pures inventions de quelques beaux diseurs ? Traitera-t-on longtemps encore de fantômes les personnages que je connais le mieux, que j’estime le plus ? S’il en est ainsi, que serons-nous bientôt nous-mêmes ? Ne se trouvera-t-il pas quelque poëte assez vain pour jurer qu’il nous a inventés l’un et l’autre dans une heure de caprice ? Crois-moi, Merlin ! il est temps, que ces médisances cessent et que les éphémères ne contestent plus la vie aux immortels ! Apprends donc ceci : les personnages qui passent pour être des visions, des créations, des songes de quelques princes ou artisans de la parole, à la langue dorée, ces personnages vivent aussi bien que toi et moi. Tous ils sont réunis ici même, sous ces ombrages, attendant seulement que le poëte vienne les appeler par leurs noms et les arracher à leur obscurité.

— Cela se peut-il ?

— Regarde !

— De quel côté ?

— Écoute ! écoute ! »

De la lisière des bois sortit alors doucement le