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MERLIN L’ENCHANTEUR.

rents ; l’expérience venait de lui montrer qu’il n’était pas né pour le bruit des villes. Avec sa science, comme il avait peu d’habitude du monde, rien n’était plus facile aux hommes que de le faire souffrir. Il prenait au sérieux toutes leurs paroles, souvent navré par un mot, un regard auquel les autres n’attachaient aucune importance. Il creusait trop ce qu’il faut effleurer. C’est la maladie des solitaires.

Dans le même temps, voyant qu’en dépit de ses conseils, le peuple ne suivait pas la bonne voie, le prophète devint triste. Tristis fit Vates. Une noire misanthropie s’empara de lui ; il eût voulu fuir au fond des bois.

« Ah ! s’écriait-il plusieurs fois le jour en soupirant, la réalité est trop amère ! À peine l’ai-je touchée, elle m’a blessé mortellement au cœur. Où sont les solitudes peuplées des êtres dont je voulais remplir le monde ?

— Je sais où ils existent, répondit Viviane.

— Quoi ? ne sont-ce pas des songes ?

— Quand tu les verras, Merlin, peut-être en croiras-tu tes yeux. Quittons seulement cette bourgade moqueuse où tu m’as fait ma première douleur. On y étouffe. Allons respirer dans mes domaines. »

À peine hors de la ville, le silence des landes, le spectacle des travaux des champs, rendirent la sérénité à l’esprit de Merlin. Le septième jour ils gagnèrent une forêt que plusieurs croient être celle des Ardennes, mais qui en réalité est celle des Dombes, où j’ai passé la première moitié de ma vie dans un enchantement presque continuel.