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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Il arriva qu’un jour Viviane se trouva à une fête de la cour d’Arthus, dans la même compagnie qu’Isaline. Aussitôt l’air lui manqua, elle crut qu’elle allait expirer mille fois. Tout ce qui sortait de la bouche d’Isaline, atteignait Viviane comme une flèche. Si elle ne se fût hâtée de sortir, elle serait morte assurément.

Quand Merlin l’eut rejointe, il la trouva en pleurs. Elle venait de découvrir que Merlin n’avait pas la fixité des cieux. On dit que ce fut là leur première querelle, la première ride sur leur lac argenté, jusque-là uni comme une glace. Personne au moins n’en fut témoin. Quelques mots brefs, quelques pas précipités, une coupe d’albâtre brisée, puis un instant de silence, et après cela un soupir, un sanglot et presque aussitôt un raccommodement furtif, scellé par des larmes, voilà tout ce que l’on entendit. Ce fut aussi l’unique dénoûment de cette histoire.

Peut-être eût-il mieux valu n’en rien dire ? Je commence à le croire. Mais pouvais-je donc cacher les premières larmes de Viviane ?

Certes, ce fut une faute de Merlin, quoiqu’elle ne dépassât pas les bornes d’une simple conversation, et que les hommes les meilleurs se permettent tous les jours mille fois davantage, sans se blâmer entre eux. J’eusse désiré que mon héros eût été parfait, qu’il pût servir de modèle à toutes les générations à venir, qu’il n’eût jamais un seul instant détourné ses regards du pur idéal, pour les abaisser sur une créature réelle, même dans une conversation. Voilà ce que j’eusse sou-