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SOUVENIRS


goûts, surtout de ses convictions faites d’avance et enfin de ses intérêts. C’est la loi de ce monde ; je le constate, et je m’en console.

Longtemps après avoir quitté le couvent, lorsque je fus mariée, il m’arriva souvent de rencontrer dans le monde quelques-unes des anciennes compagnes de mes débauches juvéniles. Quand je les retrouvais mariées, mères, occupant les plus hautes positions sociales, et que je me rappelais ce que nous avions fait ensemble si longtemps, si souvent, et, quelques-unes, de si bon cœur, j’en pouvais à peine croire mes souvenirs.

Ils ne me trompaient pas, cependant.

Nos liens de couvent, malgré leur caractère particulier, n’établissaient jamais entre nous ni rivalité, ni intimité. Nous demeurâmes toujours étrangères, indifférentes les unes pour les autres.

Sans oublier ce qui s’était passé, nous n’y faisions jamais la moindre allusion. Cela n’existait pas pour nous. Et la cause en est simple : nous avions toutes alors d’autres intérêts, d’autres passions. Nos souvenirs n’auraient pu que nous gêner. Nous les supprimions.

Lorsque j’eus dix-neuf ans, mon père vint me chercher un jour, et m’annonça, en m’embrassant, sans autre préambule, qu’il me retirait du couvent.

Mais une grande surprise m’attendait à ma