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D’UNE COCODETTE


je fais appel à ton affection pour moi : j’espère que tu vas être raisonnable.

— Est-ce que je ne le suis pas toujours, papa ?

— Si, mais en cette occasion, il faut l’être plus que jamais.

— Quelle occasion ?

— Tu ne fais rien ici, tu perds ton temps. Ton instruction n’avance pas. Tu ne t’occupes que de musique et de chiffons.

Et comme il vit que j’allais interrompre la leçon qu’il avait apprise sur l’oreiller[1] :

— Ta mère et moi, nous avons décidé, reprit-il, que tu entrerais au couvent. Oh ! seulement, ajouta-t-il, d’une voix tremblante d’émotion, seulement jusqu’au jour de ton mariage. C’est l’affaire de deux ou trois ans.

Je m’étais méprise à ce mot de « couvent. »

— Comment pourrai-je me marier si tu me fais religieuse ! lui dis-je en pleurant.

L’excellent homme pleurait avec moi ; il me serra contre son cœur, s’efforça de me rassurer, m’expliqua, non sans embarras, qu’il ne s’agissait pas de prendre le voile, mais d’entrer dans une maison d’éducation pour y achever mes études. Il était évident pour moi que mon pauvre père était honteux et malheureux du rôle qu’on lui faisait jouer. Ce qui me révoltait le plus, c’était de

  1. Variante, ligne, 11 après oreiller ; lire : conjugal.