Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
SOUVENIRS


mes sœurs et moi entrions dans sa chambre, selon notre habitude, pour lui souhaiter le bonjour, je fus très effrayée de trouver le lit vide.

Les draps étaient tout froids et n’avaient pas été foulés. Comme nous restions là à nous regarder, nous vîmes notre belle maman, plus fraîche, plus rose, plus jolie, mieux épanouie que jamais, qui sortait de la chambre de notre père. Elle était en chemise, nu-pieds, et portait sous le bras son oreiller garni de dentelles. Depuis plus de seize ans que j’étais au monde, c’était la première fois qu’il m’arrivait, à l’exception de l’incident Gobert, de prendre ainsi ma mère pour ainsi dire « sur le fait. » Ce matin-là, confuse de mon peu de chance, pendant que mes deux sœurs se jetaient au cou de maman, je tournai les talons un peu vite, et, quand je fus rentrée dans ma chambre, je me laissai tomber sur une chaise et je m’écriai :

— je suis cuite !

J’étais cuite, en effet, et bien plus cuite encore que je n’aurais jamais eu l’idée de le soupçonner. Le même jour, immédiatement après déjeûner, mon père me fit appeler dans sa bibliothèque, et, dès que j’y entrai, je vis, à ses manières, qu’il avait une confession pénible à me faire.

Il m’avait fait asseoir sur ses genoux, me tapotait les joues de la main, m’embrassait.

— Ma grande et belle fillette, me dit-il, enfin,