Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
SOUVENIRS


mariée, et, d’ailleurs, nous n’avions aucun soupirant sous la main. Elle s’avisa de dire que mon instruction n’avançait pas, à la maison, que j’étais paresseuse et ne songeais qu’à la toilette. De là à faire naître l’idée de m’envoyer dans une maison d’éducation, pour y compléter mes études, il n’y avait que l’épaisseur d’un mauvais sentiment, et c’était peu de chose pour une femme qui vivait dans la dépendance[1] de M. Gobert. Mais, dans cette circonstance, ma mère devait savoir qu’elle aurait deux résistances à vaincre, la mienne et celle de mon père. Elle fit adroitement tout ce qu’il fallait pour les faire plier toutes deux.

Quoique je ne m’attendisse à rien de précis, je sentais instinctivement qu’un orage était sur ma tête. Ma mère se montrait trop bienveillante pour moi, trop tendre pour mon père. Mes soupçons devaient s’éveiller forcément. Quand nous étions à table, tous réunis, le Gobert à sa droite[2], elle ne laissait pas échapper une occasion de s’extasier sur ma précoce intelligence. « J’étais le portrait vivant de mon père, » disait-elle, « il ne me manquait que de l’instruction. Il était bien fâcheux qu’on n’eût pas eu l’idée, depuis

  1. Variante, ligne 9, après dépendance ; lire : morale.
  2. — ligne 20, après droite ; lire : et moi en face d’elle, auprès de mon père.