oublier. Je suis absolument certaine qu’il ressentait
pour moi un amour véritable et chevaleresque ;
qu’il ne demandait rien, ne cherchait à rien
obtenir de moi qu’une affection fraternelle. Et moi,
je me sentais si profondément, si grossièrement
malheureuse entre les deux tyrans qui se partageaient
les secrets et les voluptés de mon corps,
que, mes souvenirs d’enfance aidant, je me laissais
innocemment aller à ces douceurs de me
sentir aimée et de commencer à aimer. C’était la
première fois de ma vie : ce fut la seule. Une circonstance
des plus éminemment dramatiques,
dans laquelle mon cousin Alfred exposa courageusement
sa vie pour moi, contribua encore à
nous attacher l’un à l’autre.
C’était par une chaude et lourde journée d’automne. Nous nous promenions tous au fond du parc, sous de grands arbres, du côté du village de Galardon. Le baron et mon mari marchaient devant, causant amicalement, en bons associés ; je les suivais à quelques pas au bras de madame de Couradilles, et mon cousin Alfred était en arrière. Tout à coup, de grandes clameurs retentirent, se rapprochant de nous, sans qu’il nous fût possible de rien voir. Enfin, un flot de paysans, armés de fourches, de faulx, de pioches, de bâtons, fit irruption dans le parc, poursuivant à travers de noirs tourbillons de poussière un chien énorme et dont le poil était souillé de fange, la