était devenu un homme éminemment distingué,
avait fait, poussé par mon père, des études médicales
fort remarquables ; tout dernièrement, il
avait publié des travaux appréciés du monde
savant sur les maladies du cerveau. Il était désigné
pour aller très loin et monter très haut. Je
dois dire dès à présent que, dans les rares occasions
où j’avais revu mon cousin, il me fut facile de
m’assurer qu’il m’adorait toujours, et de la manière
la plus respectueuse. Il ne cessait de manifester les
plus vifs remords au sujet de l’offense qu’il m’avait
faite, disait que ce n’était qu’une polissonnerie d’écolier,
qui ne pouvait se renouveler, que toute sa vie se
passerait à expier cette offense et à me la faire
pour lui rendre dans toute leur vivacité les plaisirs qu’il
avait perdus avec la jeunesse ; il mangeait du phosphore
avec l’espoir de retrouver dans cet abominable poison
quelques restes de sa vigueur passée ; enfin, malgré
quelques petites satisfactions de vanité qu’il tirait de sa
fortune, il menait, grâce à mes caprices et à ma détestable
humeur, une existence qui manquait de charme.
Telle était la situation des choses lorsque, à la suite
d’une scène horrible que me fit le baron et dans laquelle
il me rappela un peu trop grossièrement qu’il avait payé
mes faveurs, je le mis à la porte de chez moi ; puis, voulant
me soustraire d’un seul coup à tous mes ennuis, je
me séparai de mon mari. Depuis longtemps, je me sentais
profondément dégoûtée de l’existence avilissante que
je menais entre ces deux hommes, existence aussi
fastidieuse qu’avilissante.