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SOUVENIRS


manière employer pour prendre possession de la femme qu’il avait achetée et payée. Sa position d’homme du monde, connu de moi, amoureux ouvertement de moi, le gênait. Il ne se trouvait plus sur le même terrain, il glissait à toute minute.

Me serrer les mains, les baiser, soupirer, lever les yeux au ciel, c’était tout ce qu’il avait l’idée de faire. Pour mon malheur[1], mon pied, mon « adorable pied », aurait dit mon mari, si finement chaussé, dépassait le bord de ma robe. Il s’en aperçut tout à coup. Se baisser, le saisir, me demander assez lestement la permission de le baiser, furent, pour lui, l’affaire d’une seconde.

Puis, sans attendre ma permission, il se mit à me déchausser. Il avait enlevé mon soulier. Je ne pus m’empêcher de pâlir en sentant ses deux

  1. Variante, ligne 9, au lieu de Pour mon malheur, etc. lire :

    Le hasard fit que, ce jour-là, je portais des manches de tulle transparentes qui laissaient voir mes bras dans toute leur longueur. Et j’avais, disait mon mari, « les bras qui manquent à la Vénus de Milo. » Je sentis tout à coup les mains du baron sur mes bras. Il avait l’impudence de les baiser, absolument comme si je lui avais permis de le faire. J’eus assez de puissance sur moi pour ne pas m’en fâcher. C’est ainsi que le premier pas, le plus difficile, fut fait entre nous, et, à partir de ce moment, le baron devint plus pressant.