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SOUVENIRS


dont le désespoir paraissait véritable et me remplissait de chagrin.

Quel abîme est-ce donc que le cœur des femmes… J’allais faire cela pour mon mari, pour mon mari seul… et je n’aimais pas ce mari !

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Ce n’est point impunément qu’on est femme. Même dans les plus grands malheurs, dans les plus grandes hontes, on n’oublie rien de ce qu’on doit à sa réputation d’élégance et de beauté. Ce malheureux, qui était venu si étourdiment se jeter dans mes filets, je ne voulais pas me contenter de l’éblouir ; il me fallait le fasciner, l’épouvanter de son bonheur. Quand le jour que j’avais indiqué pour le rendez-vous se leva, je me trouvai la tête froide et lucide, mais je n’avais pas le cœur calme. La moindre de mes actions fut mûrement méditée. En sortant de mon bain[1], j’allai me placer complètement nue devant ma psyché, pour m’examiner. « Cent mille francs, me disais-je, ce n’est vraiment pas trop payé. » Jamais je ne m’étais trouvée plus parfaitement belle. Cependant, autour des seins, que j’ai toujours eus fort petits, quelques-unes des petites veines bleues qui me semblaient placées là tout exprès pour faire valoir la blancheur satinée de ma peau, ne me

  1. Variante, ligne 18, après mon bain ; lire : à peine essuyée.