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D’UNE COCODETTE


J’étais exaspérée. Penser que, sans avoir rien fait pour cela, j’étais tombée si bas dans l’estime publique, qu’un homme de mon monde, que j’étais exposée à rencontrer partout, pouvait avoir eu la pensée de m’acheter comme une fille publique, avec l’espoir que je me livrerais à lui, cela me mettait hors de moi. Et cette femme, cette horrible entremetteuse, si jolie, qui m’avait tenue là, pendant une heure, familière, me traitant comme si j’avais été l’une de ses pareilles !…

Elle s’était levée, elle était partie.

Mais à peine la porte eût-elle été refermée derrière elle, que la pensée de mes embarras d’argent, si pressants, me revint soudain à l’esprit. Je me dis avec terreur que j’avais été peut-être trop prompte à me laisser dominer par l’indignation et la colère. Et je sentis des larmes me monter au bord des yeux.

Mon mari se fit annoncer chez moi, sur ces entrefaites.

— Parlez-moi franchement, lui dis-je. Cent mille francs vous suffiraient-ils pour sortir d’embarras et payer toutes nos dettes ?

Il me répondit d’un ton dégagé :

— Si j’avais cette somme, je pourrais faire face au plus pressé, et j’obtiendrais facilement du temps pour le reste. Mais pourquoi me demandez-vous cela, ma chère ? reprit-il.