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SOUVENIRS


buvait de même et se donnait le mot pour nous voler. Ni mon mari ni moi ne tenions compte de l’argent dépensé. Grâce au sang maternel, je n’avais que trop malheureusement des dispositions pour le luxe et la toilette. Loin de me retenir, mon mari me poussait constamment à me modeler sur les femmes de la société les plus dépensières et les plus riches. À l’entendre, et quoi que je fisse, je n’étais jamais trop bien mise. Et puis, ne nous fallait-il pas tenir table ouverte ? Dès que l’une de nos voitures commençait à se détériorer, les livrées de nos gens à n’être plus fraîches, on les changeait. Tout cela se paie, d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard. Un jour, à l’occasion d’un mémoire de carrosserie, d’une quinzaine de mille francs, l’orage éclata. À la suite de longues et pénibles discussions, il devint avéré pour moi que mon mari, en m’épousant, n’avait d’autre fortune que des dettes ; que, depuis notre mariage, nous avions vécu de ma dot et fait quelques dettes nouvelles ; que l’hôtel où nous logions était hypothéqué pour la totalité de sa valeur ; que mon beau-père, le vieux duc de B***, ne pouvait nous aider, étant aussi à court d’argent et aussi endetté que nous-mêmes. Comme, du côté de ma famille, la fortune, depuis notre exil, n’avait jamais été bien considérable, ni même bien liquide, nous ne pouvions attendre de là aucun secours. Mon père, d’ailleurs, avait quatre enfants,