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SOUVENIRS


ment la moindre peine, et, s’il avait la plus légère indisposition, je le soignais avec dévouement.

Pour revenir au monde, mon succès y était très grand. Je puis dire sans immodestie que j’étais la reine de toutes les fêtes. Comme j’avais su me faire, grâce à mon mari, une originalité bien tranchée, je ne tardai pas à trouver un grand nombre d’imitatrices. Grâce à moi, les femmes brunes redevinrent à « la mode ». Les cheveux noirs, tantôt disposés de chaque côté de la figure en nattes longues et épaisses, tantôt répandus sur la nuque en rouleaux allongés, les cheveux noirs, bleuâtres et lustrés, éclipsèrent les affreuses tignasses jaunes et rousses. Ce fut encore à moi que l’on dut la disparition de la crinoline, qui faisait ressembler les femmes à des cloches. Je fus la première, quelque temps la seule, qui osât découvrir ses pieds en marchant. Les femmes m’exécraient ; les hommes « comme il faut » me faisaient tous des compliments, et les gamins des rues m’appelaient la Girafe.

Comme il y a, comme il y aura toujours certains côtés futiles dans le caractère de la femme — et n’est-ce pas ce qui fait son charme ? — je me sentais heureuse et fière d’être devenue une personnalité. Il me semblait, dans ma naïveté, que la mode m’appartenait, parce que dans quelque salon que j’allasse, tous les hommes, toutes