Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
SOUVENIRS


apparition dans un lieu public causait toujours une visible[1] sensation. Les petits journaux ne tardèrent point à parler de moi. Comme j’étais habituellement vêtue d’étoffes sombres, ils me surnommèrent la « Dame noire ». Et de fil en aiguille, afin d’amuser le public, ils me prêtèrent insolemment des aventures qui n’étaient jamais arrivées.

Mon mari était radieux. Il avait donc enfin une femme selon son rêve. Rien en moi ne clochait, du moins pour ses goûts. Il me quittait le moins possible. Quand vint l’hiver, il prit l’habitude de m’accompagner chaque soir à l’Opéra ou aux Italiens. De là, nous allions dans le monde, où mon succès ne faisait que grandir. Il y a une très grande différence entre le succès qu’une jeune fille peut obtenir dans les salons et celui qu’on y fait à une femme mariée.

C’est à peine si les hommes peuvent parler — et encore, ce n’est que de banalités convenables, — à une jeune fille. Ils ne lui manifestent donc guère leur admiration que par les regards. Ce sont les femmes qui, seules, sont autorisées à dire à la jeune fille qu’on la trouve belle. Une fois qu’elle est mariée, la scène change. Tous les hommes, jeunes et vieux, et surtout les vieux, sollicitent l’honneur de se faire présenter à elle.

  1. Variante, ligne 2, au lieu de visible ; lire : véritable.