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SOUVENIRS


qu’il déclara que le moment était venu de rendre aux brunes la justice qui leur était due en les remettant à la mode. Me voilà donc, pour lui complaire, soignant plus que jamais mes beaux cheveux noirs, me coiffant de façon à les faire valoir et bien voir. Comme je ne pouvais pas toucher à mes yeux sans m’exposer à leur faire tort, je me contentais de les laisser briller de tout leur éclat. Mais ce n’était pas tout. Il y avait alors à Paris, sans me compter, deux autres femmes bien connues, deux brunes, toutes deux fort belles et appartenant à des catégories différentes de la société. Elles auraient pu me porter ombrage, ou, selon l’expression de mon ironique mari, « me disputer l’empire des cœurs ». La première de ces femmes était madame Viardot, la grande cantatrice, que la reprise de l’Orphée de Gluck venait de remettre en évidence. La seconde était une courtisane de la plus haute volée, célèbre dans l’Europe entière, autant pour son esprit que pour sa distinction et sa beauté, madame Barucci. À ne nous juger toutes trois que par une de nos qualités physiques, nous avions, d’après l’opinion de mon mari, la même magnifique et abondante chevelure d’un noir bleuâtre, les mêmes grands yeux de velours noir et les mêmes sourcils. Entre madame Barucci et moi surtout, il y avait, dans le teint très mat et cependant rosé, dans la beauté des dents, des pieds et des mains,