qui n’existait que dans mon imagination et
dont je vous parlerai tout à l’heure. Il y a un
proverbe qui dit : Faute de grives, on mange des
merles. Quand j’eus atteint l’âge de quarante ans
je pensai qu’il était grand temps de croquer au
moins une grive. N’en pouvant rencontrer nulle
part une seule qui me convînt parfaitement, qui
n’eût aucun défaut, selon mon goût, je m’avisai
d’en créer une dans mon esprit, et celle-là fut
naturellement douée de toutes les perfections.
Pour me faire mieux comprendre, je vous dirai
que je me formai un idéal de grâce, de charme,
de beauté. Je le comblai des plus doux attraits, je
n’oubliai aucune des séductions qui pouvaient le
rendre parfait.
Puis, quand cette merveille idéale fut créée dans mon imagination, et bien complète, je me complus à vivre avec elle, à la caresser, me promettant, si jamais j’avais le bonheur de rencontrer, dans n’importe quelle condition, une femme qui ressemblât à cet idéal, de lui offrir mon nom, ma fortune, ma vie, pour l’unique satisfaction de la posséder.
Je cherchai dans toute l’Europe, avec la plus grande patience. Je ne trouvai pas. Cela dura longtemps. Il est vrai que j’étais excessivement[1]
- ↑ Variante, ligne 26, au lieu de excessivement ; lire : atrocement.