Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
D’UNE COCODETTE


rentrâmes chez mon père, je trouvai dans le vestibule un vieux domestique qui m’avait vue naître et me guettait, depuis le matin, pour me faire ses compliments. Ce fut lui le premier qui m’appela « Madame ». Ce nom me fit tant de plaisir à entendre que je lui donnai cinq[1] cents francs.

Le même jour, il y eut dîner de gala chez mon père. Mes gamines de sœurs, poussées par mes frères, s’amusaient à empiler de grosses truffes sur l’assiette de mon mari. Ma mère, qui, gracieusement, m’avait laissé à table la place d’honneur, en face de mon père, grondait mes sœurs, disant que mon mari se rendrait malade, et mon père riait, baissant le nez vers son assiette, sans doute charmé des jolis souvenirs qu’une telle journée lui rappelait. Je fus traitée en reine par tout le monde. Le soir, nos amis les plus intimes vinrent nous tenir compagnie. Enfin, à onze heures sonnant, mon mari, après avoir échangé quelques signes avec ma mère, se leva et m’offrit le bras. Nous sortîmes. On chuchotait dans le salon, on se poussait le coude en nous regardant. J’avais conservé toute la journée ma toilette de mariée, sauf le voile. Quand nous fûmes dans le vestibule, mon mari me plaça un long manteau sur les épaules. Notre voiture nous attendait au

  1. Variante, ligne 6, au lieu de cinq ; lire : deux.