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D’UNE COCODETTE


tante Aurore, la mère de mon cousin Alfred, se fit annoncer chez moi, et, à son air apprêté quand elle entra, je compris qu’elle venait m’entretenir de choses graves.

Je crois avoir déjà dit que cette tante était une sœur de mon père. Elle lui ressemblait par la haute taille, la figure, les manières, même un peu par l’esprit. Elle était cependant plus libre encore de propos avec son frère.

Il n’existait aucun moyen d’espérer d’elle qu’elle gazerait jamais sa pensée. C’était une de ces femmes « à la langue salée » comme on en trouve quelques-unes dans les mémoires du duc de Saint-Simon ; excellente personne, au fond, encore belle, avec ses yeux noirs, ses dents bien conservées et les cheveux blancs crêpés qui lui entouraient le visage. Elle m’aimait comme sa fille. Les choses les plus vives, non contente de les appeler par leur nom, elle vous les lâchait tout à trac, et une fois qu’elle était lancée, il n’y avait aucun moyen de l’arrêter.

Je pensais qu’elle venait me parler d’Alfred, intercéder en sa faveur, car, selon moi, mon cousin devait m’aimer encore ; je craignais qu’elle ne cherchât, pour servir les intérêts de son fils, à mettre obstacle à mon mariage. J’étais bien loin de compte, comme on va le voir.

— Ma chère nièce, me dit-elle après m’avoir tendrement embrassée et s’être assise auprès de

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