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D’UNE COCODETTE


de pierre. Je ne crois pas qu’on puisse rencontrer rien de plus caractéristique et de plus monumental nulle part que cette avenue de vieux coudriers, même à Versailles.

Un grand silence régnait au dehors, et la lune était toujours très brillante. Alfred avait commencé par m’offrir galamment son bras. Je crus devoir le refuser, en souvenir de ses mauvais regards. Lorsque nous eûmes fait quelques pas, sans rien nous dire, il s’approcha, et, tout à coup, comme s’il n’avait même pas eu la pensée qu’il pouvait m’offenser, il me passa le bras autour de la taille, privauté singulière, que, jusqu’alors, il ne s’était jamais permise. Après cela, voyant que je ne disais rien, il commença à me faire, tout en marchant, d’affectueux reproches sur ce qu’il appelait « mon inexplicable froideur ».

Je me sentais assez embarrassée pour lui répondre, étant mécontente de lui, mais cependant n’ayant, en somme, rien de grave à lui reprocher.

Cela fit que je continuai à marcher à petits pas, auprès de lui, tenant les yeux baissés, et ne prononçant pas une parole. Je ne puis deviner à quoi il attribua mon silence, mais le fait est qu’il s’enhardit. Son bras me pressa plus fortement, de la main qu’il avait de libre, il s’empara de l’une des miennes, et enfin, tout en cheminant, il commença, à ma grande stupéfaction, à me tenir le langage le plus passionné.