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D’UNE COCODETTE


gros vilain mot de « maîtresse », baissait pudiquement les yeux sur son assiette[1].

M. Gobert, dans ses paroles, était exactement l’opposé de mon père. L’expression la plus ordinaire, la plus courante, le choquait. On aurait dit qu’il n’avait pas eu de jeunesse, était venu au monde avec sa cravate et son air gourmé. Maman, malheureusement, qui l’admirait tant, après avoir été, toute sa vie, d’une tolérance parfaite, à l’imitation de mon père, finit par adopter les scrupules les plus ridicules de son amant. Mais je reviens à mon cousin.

Je ne me possédais déjà plus, tant j’avais hâte de le revoir. Ma mère le critiquait trop. Elle disait qu’il était un « franc mauvais sujet ». Chose étrange ! la seule idée des maîtresses d’Alfred me faisait de la peine et me rendait fière.

Un matin, comme je venais de quitter ma chambre et entrais au salon, — c’était l’heure du déjeuner, — un jeune homme qui se tenait assis sur un canapé, auprès de ma mère, se leva en m’apercevant, vint à moi, puis, tout à coup, sans dire gare, me sauta au cou.

C’était lui, mon cœur me le dit. Quand je fus parvenue à me dégager de son étreinte, encore toute honteuse d’avoir été menée si lestement, je

  1. Variante, ligne 2, au lieu de sur son assiette ; lire : dans sa cravate.